Durant Japan Expo, Le Chef Otaku scénariste d’Arena et Cab, scénariste d’Oneira, ont participé à une conférence commune autour de leur métier commun.
Nous vous proposons ici le retour de cette conférence durant laquelle les deux auteurs sont revenus sur leurs débuts, leurs motivations et, bien sûr, leurs œuvres respectives.
Le Chef Otaku a ainsi présenté Arena, un webtoon qu’il signe avec Clarity, la dessinatrice. La série, qui a débuté sa publication sur la plateforme Webtoon Factory en 2021, est à présent disponible en format papier chez Vega Dupuis depuis juin 2022. De son côté, CAB est venu parler d’Oneira, récemment sorti chez Kana, qui est issu de sa collaboration avec l’artiste italienne Federica Di Meo.
La conférence
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans la création ?
Cab : Pour le manga, je pense que c’est un format narratif qui est très intéressant parce que c’est très sériel en fait. J’ai du mal avec les histoires courtes de manière générale et le manga offre une narration qui peut vraiment être diluée dans le temps contrairement à la BD qui est très elliptique. Le manga permet disséminer des informations, de créer beaucoup de scénario avec plein de ressorts scénaristiques intéressants qui peuvent être étalé dans le temps.
En plus, c’est en arc séquentiel qui est très intéressant contrairement à la BD. Par exemple, si un personnage donne un coup de poing, le manga peut faire 4 pages avec le poing. On peut faire 4 pages avec le gars qui prend le coup. C’est quelque chose que l’on peut se permettre non seulement avec le format, mais aussi encore une fois avec le schéma narratif. Je trouve ça très intéressant pour raconter une histoire de pouvoir la diluer, de pouvoir prendre le temps de développer les personnages, de développer le scénario.
Pour toi, quelle est la différence fondamentale entre le webtoon et le manga ?
Le Chef Otaku : En vrai c’est une différence de rythme. Il y a un rythme particulier dans le webtoon qu’on a pas forcément dans le manga. Ça vient déjà forcément du mode de lecture, il y a une énergie qui est un peu différente. Ça va très vite et tu as, à chaque fois, envie de voir la suite alors que dans le manga ce n’est pas forcément le cas.
One Piece par exemple, à la fin d’un chapitre, ce n’est pas forcément la fin d’une scène. C’est genre : “Vas-y j’ai fait 17 pages, on verra la suite une prochaine fois”. Là c’est vraiment, on finit sur un cliffhanger pour donner envie de revenir la semaine d’après pour lire le chapitre suivant. C’est vraiment un format particulier et un rythme particulier.
Ça fait un peu penser au vidéo YouTube en fait. Il ne faut pas que ça soit trop long non plus et en même temps tu as le retour direct des gens avec les commentaires, les likes et tout. Je trouvais ça intéressant d’avoir un côté « simili » prépublication à la japonaise aussi avec Webtoon Factory. Ça fait un peu l’expérience Shōnen Jump.
Vous êtes tous les deux scénaristes, comment ça se passe de voir des idées, d’avoir une lecture sur papier et d’ensuite les voir émerger visuellement sous la plume de quelqu’un d’autre ?
Le Chef Otaku : Moi je suis un scénariste parce que je suis un dessinateur un peu contrarié. J’ai jamais été assez bon [Rire]. Donc j’adore voir mes histoires ou mes personnages redessinés par quelqu’un d’autre. Je trouve ça fascinant de voir ce qu’on imagine peut-être réinterprété dans l’esprit de quelqu’un d’un peu plus créatif que soit, graphiquement parlant. Moi j’adore ça. Je trouve ça génial.
Cab : J’aurais bien dit exactement la même chose. Je suis entièrement d’accord avec toi. Il y a un truc aussi, voir ses chapitres dans l’imagination de quelqu’un d’autre, c’est vraiment hyper satisfaisant. Je ne sais pas si ça t’es déjà arrivé mais jamais je n’avais mieux imaginé quelque chose qu’entre les mains des dessinateurs avec qui j’ai pu travailler. Je n’ai jamais eu une fois où je me suis dit que ce que j’avais imaginé était mieux. Ça a toujours été mieux de leur côté parce que c’est leur domaine d’expertise, déjà, et eux ont cette espèce de talent que moi je n’ai pas. Je trouve ça très intéressant de conjuguer deux talents ensemble. En espérant que j’arrive à les égaler un tant soit peu.
Chef Otaku : Moi je suis un peu mégalo donc je peux dire “Ah j’aurais pas fait comme ça !” … Non c’est pas vrai [Rire]. Mais comme je fais des pré-design, ça arrive parfois quand je vois le retour, je me dise que je n’aurais pas pensé à accentuer ce côté-là graphiquement. Je vois mon personnage différemment et je le laisse comme ça. Ça influence ma perception.
Cab : Est-ce que scénaristiquement ça t’es déjà arrivé de penser ton personnage par rapport au chara-design que ton dessinateur t’a fait ?
Chef Otaku : Oui, oui. Je n’ai pas d’exemples précis mais c’est déjà arrivé. Et toi ?
Cab : Oui carrément, c’est pour ça que je dis ça. J’avais eu l’idée d’un personnage qui était un peu drôle. Mais au fur et à mesure le dessinateur avec qui je bossais lui donnait un design assez dur. Il y avait une scène où il enlevait son haut et où on pouvait voir qu’il avait des cicatrices dans le dos. Ça a changé ma manière de voir le personnage, ça a changé ma conception et son écriture en amont. Je me suis dit que je devais peut-être jouer avec ça. Je trouve ça intéressant l’apport scénaristique que le chara-design peut apporter.
Le dessin peut donc influencer le développement de vos personnages et de l’histoire. Dans le contenu est-ce que les dessinateurs influent sur vos histoires ? Est-ce qu’il y a un échange ou est-ce vous amenez l’histoire et ils la mettent sur le papier ?
Le Chef Otaku : Moi dans mon cas, non pas trop. Il n’y a pas eu de retour du dessinateur. Ça n’est pas arrivé.
Cab : Pareil, je pense qu’il y a un respect de ce qu’on fait l’un et l’autre. Je ne vais pas trop m’immiscer dans le chara-design sauf si vraiment j’ai une idée précise et que ça a un impact sur le scénario. Mais en général quand j’écris un scénario, il y a pas de retour sur le script. A la limite sur les dialogues, il peut y avoir un truc et on en discute mais ça n’est pas imposé et il n’y a jamais eu une remise en question du fil scénaristique.
Le Chef Otaku : Après si des fois, sur des planches il y a l’expression d’un personnage, on l’écrit d’une certaine manière et l’artiste fait d’une autre façon. Des fois c’est mieux que ce que j’avais imaginé aussi, ça n’influe pas forcément sur l’histoire, mais sur la façon de percevoir l’histoire.
Tout à l’heure vous avez expliquez la raison qui vous a poussé à devenir scénariste, mais comment y êtes vous arrivés ?
Cab : A la base j’aimais écrire, de manière générale. Je me suis mis à écrire un roman et je me suis dit : “Oula, c’est long…C’est super long, c’est super chiant, c’est super dur, je sais pas faire”.
Encore une fois, je consommais beaucoup de séries, beaucoup de mangas, je me suis dit que j’avais envie de raconter des histoires, il fallait que ce soit ça. Il n’y avait pas d’autre moyen de faire, de se professionnaliser.
Je me souviens qu’à l’époque j’avais un travail. Je rentrais, je prenais un café et je bossais. Je continuais encore et encore jusqu’à ce qu’un dossier passe en édition. Il n’y a pas de formule magique, il faut travailler, avoir du bol.
Le Chef Otaku : Moi j’ai triché, j’ai un million d’abonnés, je rigole. J’ai toujours voulu faire et ça et même ma carrière sur Youtube c’était déjà ça. Ce sont de petits documentaires, des analyses littéraires. J’ai toujours voulu vivre de mes écrits, que ce soit raconter des histoires, ou écrire des choses.
Depuis tout petit j’écris, je dessine, je fais des histoires. J’ai essayé le roman aussi à un moment mais quand tu es habitué à écrire du scénario de BD et que tu arrives au roman, il y a trop de trucs à écrire en fait. J’ai toujours écrit de la série donc quand on m’a proposé j’ai dit “banco”. Ça s’est fait assez rapidement après.
Comment ça se passe avec l’éditeur ? Quelle est votre relation avec ? Quel est son apport ?
Cab : Sur Oneira, j’ai du bol parce que l’éditeur Timothée chez Kana m’a laissé une complète liberté. J’avais très peur parce qu’en général il y a une barrière des 3 tomes chez un éditeur de mangas en France. D’habitude on signe que 3 tomes parce que ça représente déjà un coût énorme pour l’éditeur avec peu de retours sur investissements derrière.
Il faut qu’en 3 tomes, il y ait une fin, ce qui est très compliqué. Donc quand j’ai proposé mon histoire, j’ai eu très peur de me prendre cette barrière mais finalement il m’a proposé 4 tomes.
Je sais pas si tu as dû faire pareil, au début on m’a fait écrire des synopsis. C’est le pire exercice possible. Ce n’est pas dialogué, ce n’est pas séquencé, ce n’est même pas scénarisé, c’est une suite d’évènements. C’est chiant et on n’arrive à rien faire passer. J’ai demandé à ce qu’il me laisse écrire le scénario, les séquences et tout. On a travaillé comme ça et il n’y a eu aucune retouche. Là où l’éditeur était important, c’était pour le découpage avec la dessinatrice et sur le ton de l’histoire. J’avais peur de la censure mais il m’a poussé à aller à fond dans l’histoire puisque c’était, de toute façon, catégorisé “Dark Kana”.
Le Chef Otaku : Comme je le disais, dans la publication webtoon il y a un côté pré-publication. On pense parle pas vraiment tome, on parle plutôt en saison. Et il y a un retour plus rapide. J’ai été plutôt libre, il y a une fois où on m’a recadré parce qu’à la base Arena est plus orienté Shōnen. Au début de la saison 2, j’étais parti dans un trip Berserk. J’ai relu ce passage il n’y a pas longtemps et je me suis aussi dit que j’étais parti loin [Rire]. C’est la seule fois où j’ai été recadré, sinon on a un échange cordial et plutôt libre en terme de création.
Est-ce que vous avez déjà la fin de votre histoire ?
Le Chef Otaku : Moi j’ai écrit le synopsis de la saison 1 et je l’ai pas du tout respecté au final. C’est chiant quand on te demande ça parce tu peux avoir d’autres idées. Après la fin, j’en ai plusieurs en tête. Ça va dépendre du nombre d’épisodes, de s’il y aura un happy end ou pas… A mon avis pas. En fait, j’aimerais bien faire une fin frustrante. Genre ça se termine sur un cliffhanger mais il y a jamais de suite.
Cab : J’ai la fin. Avant même de commencer les scripts, j’avais déjà une histoire que je voulais raconter, comment je voulais la raconter. Il est convenu de 4 tomes mais si jamais ça marche, on fera suite en plusieurs arcs narratifs jusqu’à arriver à la conclusion qui a été pensée dès le départ. Mon éditeur est déjà au courant en fait, c’est comme ça que j’ai voulu le convaincre. Il me faut beaucoup de temps mais je peux faire un préquel en 4 tomes.
Qu’est ce qui est le plus dur en tant que scénariste dans le travail ?
Cab : Je ne crois pas qu’il y a vraiment de choses dures en fait. Je ne dis pas que c’est un travail facile… Ah si trouver l’’inspiration ! Je n’ai jamais eu le syndrome de la page blanche, mais parfois, j’ai envie d’aller quelque part et je ne sais pas comment m’y rendre. Si je fais rien je vais pas y aller. J’ai lu une interview de Stephen King qui disait qu’il se forçait à écrire tant de mots par jour. J’ai téléchargé une espèce d’appli qui en fait si tu n’écris pas pendant plus de 7 secondes efface l’entièreté du texte. C’est vraiment dur parce que du coup tu appuies sur espace. Une fois, je crois que j’ai appuyé sur espace pendant une heure avant de me dire qu’il ne fallait pas que je me force.
Le Chef Otaku : Pour moi le plus dur serait de faire la jonction entre deux évènements. Il faut que ça paraisse fluide, cohérent, sans avoir l’impression de passer du coq à l’âne. Du coup je suis obligé de rajouter des trucs. C’est peut-être ça qui est le plus compliqué. Pour l’inspiration ça va pour l’instant.
Est-ce que vous vous mettez des limites en écriture ? Si vous pensez que quelque chose va être impossible à dessiner, ou que les lecteurs ne vont pas comprendre … Est-ce que vous mettez tout ce qui vous passe par l’esprit, du moment que ça vous plait ?
Le Chef Otaku : Quand je dessinais, je me mettais des limites parce que la flemme. Maintenant ce n’est plus trop mon problème. S’il faut dessiner des immeubles ou des villes ce n’est pas mon soucis, c’est son taf [Rire].
Cab : Au début peut-être, parce que tu ne connais pas le travail du dessinateur. Tu ne sais pas de quoi il est capable. Mais en fait, très vite, non seulement il y a une demande de challenge de la part du dessinateur, dessiner des trucs qu’il a déjà fait ça ne l’intéresse pas forcément. Et, comme tu l’as dit, si c’est dans le scénar, le dessin ce n’est pas moi qui vais le gérer donc bonne chance. A l’inverse si ça pose un soucis, on en discute mais à partir du moment où ce n’est pas à moi de le faire, bah go.
Vous travaillez avec le premier dessinateur qu’on vous a proposé ou est-ce qu’il y a une sorte de casting ? Est-ce que la collaboration est fluide ?
Le Chef Otaku : J’ai essayé 5 ou 6 dessinateurs pour Arena. Le premier que j’ai eu était très joli mais ça faisait trop BD franco-belge ça me gênait un peu parce que je voulais vraiment faire un truc webtoon. J’ai vu les dessins de Clarity et c’était webtoon à fond, donc j’ai voulu tenter de faire quelque chose avec.
Pour la collaboration, il y a toujours un pont entre nous. Elle est indonésienne, elle ne parle pas français et je suis français, je ne parle pas indonésien. Il y a toujours le côté traduction mais malgré cela, le dialogue est fluide.
Cab : On a fait passer des castings à plusieurs dessinateurs dont des dessinateurs étrangers et c’est Federica Di Meo qui a été retenue, donc dessinatrice italienne. Ça force un peu à reprendre l’anglais.
On a fait passer 5 ou 6 castings avant. J’avais prévu deux séquences tests : une séquence d’action et séquence de narration pour voir comment les gens s’en sortiraient. Dès que j’ai reçu le mail avec les dessins de Federica, j’ai appelé Timothée qui était en train de regarder aussi, on a tout de suite décidé que c’était elle, c’était sûr.
Il se trouve en plus que c’était quelqu’un d’adorable, on avait les mêmes rêves, les mêmes envies, on avait la même manière d’aborder le métier de manière générale et la collaboration est ultra fluide. En plus d’une collègue elle est devenue une amie avec le temps et c’est plus simple de travailler dans ce cas-là.
Quelle est la qualité de votre dessinatrice ?
Le Chef Otaku : Elle a fibre webtoon qui est plus prononcée que la mienne. Moi ça fait seulement 1 an ou 2, c’est pas ma culture de base donc j’apporte mes idées et elle arrive a les “webtooniser”. Et plus elle travaille très bien et très vite.
Cab : Je pense qu’elle a une capacité d’absorption des codes. Elle lit beaucoup de shōjos et là elle a débarqué sur un seinen. Le premier c’était Berserk. Berserk… Le shōjo… Un petit écart entre les deux. Et en fait elle a bouffé Berserk, elle a bouffé plusieurs références qu’on lui avait donné. Très vite elle a réussi à chopper le truc, ça se sent dans le tome 1, le tome 2 beaucoup plus. Là on est sur le tome 3 et elle a vraiment capté la vibes. Elle a une capacité d’apprentissage, c’est une éponge avec les codes et je trouve ça vraiment intéressant, pour moi déjà, mais aussi pour elle parce que ça lui donne un panel de talents qui est vraiment inimaginable.
Quelle est la capacité la plus importante chez un scénariste ?
Le Chef Otaku : Je dirais… En fait j’en sais rien… L’imagination. Le talent… Ça veut rien dire le talent en soit.
Cab : Je n’ai vraiment pas assez d’expérience dans le métier pour pouvoir m’exprimer là-dessus. Je dirais peut-être qu’il ne faut pas confondre l’originalité avec la qualité. Ce n’est pas parce qu’on fait de l’original que ça sera bien. Il y a des trucs qui sont très codifiés mais qui sont très bons. Je pense que c’est bien de se lancer en autodidacte, il y a des bouquins qui sont essentiels. Je pense à L’anatomie du scénario de John Truby. C’est un livre qui est bien, ne serait ce qu’à connaitre, parce qu’on ne sort pas des codes si on ne les connait pas. C’est bien de bosser à fond mais c’est aussi bien d’étudier ce qu’on fait, et peut-être se remettre en question. Pas tout le temps, parce qu’il faut avoir confiance en soi mais il faut aussi étudier comment ça se fait avant de le faire.
Avez-vous d’autres lectures ou d’autres conseils à donner à quelqu’un qui voudrait se lancer ?
Le Chef Otaku : Il ne faut pas hésiter à faire lire ce qu’on écrit, même si ce n’est pas à des professionnels. Ça permet de savoir comment les gens perçoivent, pour comprendre ce que tu veux raconter. Et oui, lire des bouquins, tu l’as dit.
Quand on lit une histoire, il faut essayer d’analyser comment elle est faite. Ce n’est pas juste copier bêtement. Il y en a beaucoup qui sont dans le manga et qui se disent qu’ils vont copier Naruto. Mais il faut comprendre pourquoi Naruto est fait comme ça. Il faut essayer d’avoir le Sharingan, en restant dans le domaine de Naruto, pour déconstruire l’histoire. Quand on regarde Star Wars, on peut voir les archétypes. Il faut essayer de décortiquer pour voir comment c’est construire, pour pouvoir essayer de refaire pareil, à sa sauce.