Là où naissent les légendes urbaines
Souvent associé au grand Shigeru Mizuki, Junji Itô est revenu sur ce célèbre artiste. Contrairement à celui qui a exploré le folklore traditionnel japonais avec brio, il affirme ne pas éprouver d’intérêt pour les Yokai et préférer une horreur contemporaine. Parmi les légendes, l’une trouve son origine dans la préfecture de Gifu, région natale de Junji Ito : Une femme à la bouche fendue pouvait surgir et s’attaquer aux élèves à la sortie des classes. Particulièrement populaire quand il était lycéen, cette histoire suscitait en lui une certaine peur mêlée d’excitation et de fascination.
« J’aurai aimé qu’une rumeur souffle selon laquelle j’étais à l’origine de ce mystère. »
Ses mangas font partie de ces histoires du coin de la rue qui naissent de quelques murmures entre l’école et le domicile.
Un phénomène que l’on retrouve dans L’Amour et La Mort où les jeunes filles cherchent à deviner leur avenir amoureux auprès de « l’oracle à la croisée des chemins ». La superstition se transforme en légende urbaine terrifiante lorsque ce beau jeune homme pâle et fantomatique leur offre fatalement des mauvais présages. La quête d’amour se transforme en une obsession morbide qui les pousse à la mort. Elles rejoignent alors les spectres du maître de l’horreur pour errer dans la petite ville de Nazumi, devenue le théâtre de sentiments tourmentés et nécrosés.
Les histoires de Junji Ito s’éloignent ainsi de la lumière crue des métropoles japonaises. C’est dans ces petites bourgades qu’on trouve temples, cimetières, et lieux isolés qui offrent une ambiance tamisée propice aux mythes. Comme il le précise il n’a pas besoin de se rendre sur place pour créer ses décors puisque la campagne et ces paysages de montagne, souvenirs de son enfance, sont profondément ancrés en lui. C’est également là, à l’abri des regards contemporains, que se pratiquent encore les rituels ancestraux.
Soïchi, autre personnage emblématique de l’auteur, évolue entre forêt et campagne, dans un cadre calme qu’il vient bouleverser. Comme souvent dans la constellation monstrueuse de Junji Ito, le petit garçon joue sur l’ambivalence. D’abord lâche fourbe et ouvertement cruel, il ronge finalement la frontière entre agresseur et victime. Est-il l’un ou l’autre ? Peut-être les deux à la fois.