Yanai, artiste notamment connue en France pour Frankenstein Family, était invitée par ChattoChatto à Japan Expo pour présenter son nouveau manga : Self__. Dans ce récit autobiographique, la mangaka revient sur sa dépression pour offrir à ses lecteurs un témoignage touchant et sincère. Profitant de sa présence sur le salon, nous sommes allés à sa rencontre pour la questionner ce one-shot sensible et marquant.
Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous décrire votre parcours en tant que mangaka ?
Je m’appelle Yanai, j’ai fait des études au Japon dans une école spécialisée de mangas, parce que je voulais être au Mangaka. J’ai eu des petits prix pour de petites choses que je faisais à l’époque. Mais ensuite j’ai dû donc quitter le Japon pour retourner à Hong Kong, et grâce à des amis, j’ai trouvé un éditeur à Taïwan, où j’ai commencé à réaliser ce qui est devenu Frankenstein Family. Et ensuite, là récemment, j’ai publié un autre album, Self__, qui raconte un peu mon parcours. C’est tiré d’une expérience personnelle, assez intimiste. J’ai connu des hauts et des bas, et surtout des bas. Je raconte cela dans cet album. Grâce à ChattoChatto j’ai pu publier ces deux mangas en France et je remercie Nicolas, mon éditeur de ChattoChatto de m’avoir soutenue. Merci Beaucoup.
Frankenstein Family est un manga très vivant, plein d’humour, tandis que Self__ est beaucoup plus grave… Avez-vous hésité à effecteur ce changement de registre ? Aviez-vous peur des réactions de vos lecteurs ?
Le changement de style est arrivé assez naturellement. Ce n’était pas quelque chose de très prémédité. C’était juste une nécessité à ce moment-là, je ne pouvais pas dessiner autre chose, donc il fallait que je dessine ça. En termes de plus généralement, je pense qu’un artiste change son style. Ce n’est pas quelque chose de très grave.
Il y a des choses dont je n’ai pas tout à fait satisfaite de Frankenstein Family et que je voulais changer, ça ne veut pas dire que c’est la direction que j’ai prise avec Self__. Je ne dis pas que Self__ est meilleur que Frankenstein Family, ce n’est pas du tout la même direction.
Mais est-ce que j’avais peur d’exposer ces parties de moi envers mes lecteurs ? En fait, il y a quelque chose qui m’a réconforté quand j’ai réalisé Self__. Quand j’ai montré mon travail dans une exposition à Hong Kong j’ai eu des retours très positifs, ce qui m’a un peu donné du courage et je me suis dit que les gens apprécieront, tant que je dessine avec le cœur.
Dans Self__, l’émotivité a du mal à s’ouvrir, à parler à ses proches… Qu’est-ce qui vous a finalement poussé à écrire ce manga, qui dévoile totalement votre expérience personnelle ? Avez-vous eu des retours de votre famille, de vos amis ?
Ces questions me rappellent des choses, quand j’ai dessiné Self__, à un moment donné, j’avais des doutes sur mon affection envers mes proches. Je me demandais si je ne les aimais pas assez. C’est quelque chose qui me travaillait à l’époque. Après, la publication du manga, curieusement, mes amis et mes proches abordaient très peu le sujet avec moi. Il y en a plusieurs qui m’ont dit avoir compris que j’étais malheureuse à ce moment-là, un peu aussi à cause de leur comportement.
Dans ma famille, on n’en a pas discuté. Mais je pense que mon père qui ne lisait pas ce que je faisais, a lu Self__. Après, la publication du livre qui m’a envoyé sur WhatsApp, deux pouces en l’air sans aucun commentaire. J’étais contente.
Je pense que la famille, les amis… Ce qui fait justement qu’on est proches, c’est le fait qu’on tend vers les autres sans avoir besoin d’expliciter toujours les choses.
Le fait que le dessin soit très brut donne l’impression que les émotions sont couchées sur le papier, mais avez-vous tout de même souhaité reprendre certains passages après avoir terminé ?
En fait, comme vous dîtes, c’est effectivement littéralement accoucher sur papier les idées. Parce que j’avais une seule envie, c’était de dessiner le plus vite possible. Donc, le but n’était pas de soigner le cadre, le dessin, tout ça. Mais une fois terminé, c’était très difficile de revenir par-dessus.
J’ai discuté avec Nicolas, mon éditeur français, qui m’a justement proposé de retravailler un peu les dessins. Je lui ai expliqué que c’était très difficile parce que pour pouvoir dessiner de telles choses, il faut être dans un état assez particulier et je ne peux pas maintenir cet état en permanence.
Donc, finalement, ça a donné lieu à un manga qui est assez spécifique, même dans sa mise en scène et par rapport au contenu, il y a une cohérence entre les deux. C’est très difficile de reproduire ça qu’on n’est plus dans le cadre.
Justement, combien de temps cela vous a-t-il pris pour dessiner Self__ ?
Donc en fait, il y a deux parties, en tout cela fait une centaine de pages. La première partie, les trois quarts du manga, je l’ai dessinée en deux semaines. Le dernier quart, je l’ai dessiné en une semaine mais un ou deux mois après.
Vous avez donc pris un certain recul par rapport à la première partie ?
Oui effectivement, il y a un certain recul, une espèce de soulagement dans la deuxième partie… Je me sentais peut-être moins en colère.
Dans Self__, le rationnel admet qu’il est finalement difficile de faire un manga. Qu’est-ce qui vous semble le plus difficile dans ce processus créatif ?
Je pense que la première difficulté vient du fait que je ne me sentais pas à la hauteur de ce que je voulais faire, je n’arrivais pas à faire ce que je voulais faire… Je n’étais pas satisfaite… Et puis, je pense que ce n’est pas difficile de dessiner si on se fiche de savoir si ça va rapporter de l’argent, de savoir si les gens vont apprécier… Mais si on ne se pose pas ce genre de questions ça devient plus difficile…
Avez-vous eu plus de difficulté à dessiner Frankenstein Family que Self__, même si le sujet était plus difficile dans ce second manga ?
Oui mais c’est difficile de comparer les deux… A mon avis, Self__ était plus intuitif mais aussi plus simple car il s’agissait d’un one-shot. Je n’avais pas à réfléchir à un plan, à l’évolution des personnages etc…
Je m’estime assez chanceuse car je n’ai pas éprouvé non plus de très grande difficulté au moment de l’écriture de Frankenstein Family. J’avais des idées et je dessiné c’était plus compliqué évidemment parce qu’il fallait penser à plus de choses.
Après avoir écrit Self__, vous sentez-vous mieux ? Avez-vous réussi à vous à dessiner à nouveau ?
Oui effectivement et je travaille sur un nouveau projet. C’est un manga qui aborde la thématique écologique. Cela faisant longtemps que je voulais faire un projet sérieux, sérieusement préparé, un peu comme on fait au Japon. Avec un dessin très soigné. Ça sera une histoire agréable à lire, pas sur mes problèmes personnels. Ce n’est pas aussi libre que Self__ mais j’ai quand même gagné de la confiance. Avant d’écrire Self__ je me posais beaucoup de questions au moment du storyboard. Je pensais toujours à la façon dont les autres auraient représenté telle ou telle chose … Après Self__, je me suis rendue compte que j’étais capable de trancher moi-même, sans penser à tout ça. Je me suis donc plus libre.
Une interview réalisée par Manga Clic : Un grand merci à Yanai, à son interprète, aux éditions Chattochatto et à Japan Expo !
Découvrez en seconde page l’exposition “Yanai – Artiste aux multiples visages”, présentée lors de Japan Expo !